C'est surtout sous le nom de péché que l'Écriture dénonce le mal. Par le péché, l'homme montre ouvertement sa détermination de se soustraire à la souveraineté de Dieu et de mener une vie indépendante de lui.
Dans l'Ancien Testament, trois familles de mots sont principalement utilisées pour parler du péché, et les termes correspondant sont d'ailleurs fréquemment associés (Ex 34,7 ; Dn 9,24 ; etc.).
Le mot khéte – « péché » – et ceux de la même famille reviennent plus de 600 fois (Ps 51,4b.5b.6a.7b.11a) ; le sens étymologique paraît être « manquer ». Le « péché », c'est le mal moral comme échec et comme tort ; l'accent tombe sur la situation du pécheur devant l'autorité qu'il a lésée, sur son démérite, comme quand quelqu'un, honteux, arrive en retard à un rendez-vous important.
Le mot awôn – « iniquité » ou « faute » – et ceux de la même famille sont aussi très fréquents (Ps 51,4a.7a.11b) ; l'image originelle serait celle de « tordre », ou « dévier », « fléchir ». Ces termes semblent faire ressortir la perversité de la nature humaine.
Le mot pècha – « transgression » ou « crime » – est un peu moins usité (Ps 51,3b.5a) ; il dénote la révolte, la rébellion qui bafouent l'autorité du Seigneur.
Dans le Nouveau Testament, hamartia (Jn 8,21) équivaut à khéte et exprime l'incapacité humaine d'atteindre le niveau fixé par la volonté divine, adikia (1 Jn 5,17) rend l'idée d'injustice et correspond à awôn , et anomia (Rm 6,19) rend l'idée de viol ou rejet de la loi et correspond à pècha .
Le péché est non-conformité, ou manque de conformité, à la Loi de Dieu. Il convient de souligner ici que la « conformité » requise est une exigence absolue, sans limite.
D'autre part le péché est rapporté à la Loi de Dieu, ce qui rappelle que nous avons besoin de la médiation de la volonté révélée de Dieu pour mesurer notre faute ; en effet le péché est contraire à Dieu, mais il serait présomptueux pour nous de prétendre déterminer cette contrariété ou non-conformité sans l'aide de la Loi. Ainsi la Loi fait connaître objectivement ce qui est péché (Rm 3,20 ; 7,7), et l'Évangile confirme la Loi ; mais parvenir subjectivement à la juste appréciation de son péché exige, qui plus est, la libération par l'Évangile, car celui qui est encore esclave du péché s'aveugle sur son péché (Ép 4,17-18).
En outre cette Loi est celle de Dieu, si bien que le péché atteint à la relation personnelle avec Dieu, offense le Seigneur.
Transgresser ponctuellement des commandements particuliers revient à commettre des péchés. De plus, d'après Jc 4,17, omettre de faire le bien n'est pas moins péché que commettre une transgression. Or qui peut se vanter de rester toujours conscient de ses manquements ? Il faut donc convenir que l'on pèche de façon consciente et inconsciente. Ainsi le psalmiste demande à être purifié de ce qui lui est caché (Ps 19,13).
D'autre part les états et dispositions permanentes contraires à Dieu ne sont pas moins « péché » que les actes ponctuels par lesquels ils se manifestent : au contraire, l'accusation biblique remonte volontiers de l'expression particulière à la tendance constante, à la « raideur de nuque », à l'incirconcision du cœur (Ac 7,51). C'est ainsi que pour l'Écriture l'homme n'est pas seulement l'auteur de péchés, mais qu'il est pécheur.
L'exemple de l'amour, qui est l'exigence même de la Loi dont la non-satisfaction constitue le péché, confirme ce qui précède : l'amour est une orientation permanente de l'être, mais l'amour a besoin, pour s'authentifier et se renouveler, des actes de l'amour.
On relève par ailleurs que les péchés se distinguent par leur degré de gravité (Ps 19,14 ; Jn 19,11), que seul Dieu discerne justement. Jésus, en dévoilant dans le Sermon sur la Montagne la portée des exigences divines, ne supprime pas toute différence entre les péchés, entre l'injure verbale et l'homicide, entre la convoitise du regard et l'adultère : il enseigne que la disposition du cœur et l'acte qu'on pense anodin contiennent déjà en germe le crime spectaculaire, et qu'ils sont déjà passibles de lourds jugements.
Mais quand le coupable cède à la pression de l'Esprit, qu'il se repent et croit au Christ, ses péchés lui sont remis. Un seul péché ne peut pas être remis, de par le rôle qu'il joue : c'est l'endurcissement confirmé alors que le Saint-Esprit œuvre directement pour convaincre, endurcissement qui s'exprime par des paroles semblables à celles des Pharisiens (Mt 12, 22-37). Ce péché est unique parce qu'il empêche le recours au sacrifice expiatoire.
La corruption dégrade tout l'humain et l'incline au mal. Ainsi le péché provient du cœur (Mt 15,19), c'est-à-dire de l'homme intérieur (cf. 1 P 3,4), tandis que le corps devient l'organe du péché (Rm 6,6).
Mais si la dépravité est totale extensivement , elle ne l'est pas intensivement : le péché n'atteint pas toute l'intensité qu'il pourrait. Ainsi il n'y a rien qui soit intact chez le pécheur, mais il existe des actes relativement bons chez les non-régénérés (Lc 6,33 ; 11,13 ; Rm 2,14-15 ; Ac 10,2). C'est à la grâce de Dieu qu'on doit le bien relatif qui subsiste : Dieu, dans sa patience, restreint le progrès du mal.
Tous les hommes ont péché (Rm 3,10-18) et sont pécheurs, sauf Jésus. Les enfants eux-mêmes sont inclus dans ce « tous » (Gn 8,21 ; És 48,8 ; Ps 58,4), et Ps 51,7 souligne le péché dès la conception.
L'Homme et son salut
Sylvain Aharonian ,
d'après La Doctrine du péché et de la rédemption
de Henri Blocher.