Le lecteur du Nouveau Testament rencontre très fréquemment le terme juridique de justification ou ses dérivés : le thème n'est pas sans importance. En effet, ne pas être justifié, c'est être perdu, être justifié, c'est être sauvé (cf. Lc 18,14 ; Rm 3,19-30 ; És 53,11, etc.).
La justification applique au croyant le bénéfice principal et direct de l'expiation des péchés, de la satisfaction pénale substitutive, du paiement de la rançon légale à la croix.
Quand l'Ancien Testament parle de justice, la pensée du tribunal n'est jamais loin. Le verbe « justifier » désigne le verdict favorable, l'acquittement, la déclaration que la personne en cause est en règle avec la justice. C'est le contraire de « condamner ».
De même le Nouveau Testament a en vue la relation légale plutôt que la vertu pratiquée. C'est ainsi que la justice peut être accordée en cadeau (Rm 5,17). « Justifier » désigne donc un acte de jugement ; il ne signifie pas rendre juste, mais considérer, estimer tel. La justice qui en résulte n'est pas une perfection éthique.
Normalement, celui qui fait la volonté révélée de Dieu obtient de ce fait, à son tribunal, l'acquittement (Lv 18,5). Seulement, cela n'arrive à personne, parce que personne, Jésus excepté, ne fait la volonté de Dieu. Tous, « normalement », nous sommes condamnés (Rm 3,19-20).
La justification salutaire, dont l'Évangile fait l'annonce renversante, est accordée « pour rien », par la grâce de Dieu, au moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus (Rm 3,24), au moyen de la foi en son sang (Rm 3,25). La justice correspondante est dite « de Dieu » (Ph 3,9 ; Rm 1,17 ; 3,21-22 ; 10,3) comme provenant de lui.
La justification est donc l'acte juridique de Dieu « par lequel il déclare le pécheur en règle avec sa justice, quitte des peines qu'il méritait et reçu favorablement dans la présence divine, à cause du Christ en qui cet homme a mis sa foi » . La justification va ainsi plus loin qu'un oubli des fautes qui pourrait ressortir à la seule clémence ; elle implique l'octroi de tous les avantages dont jouirait l'homme parfaitement obéissant : celui que Dieu « normalement » acquitterait.
La justification se fait « par le moyen de la foi », « à partir d'elle » (Rm 3,30), « par elle » (Rm 3,28). Jamais on ne lit « à cause de la foi ». En effet, la foi n'est pas la cause méritoire, mais elle est organe d'appréhension, la main vide qui saisit et reçoit ; comme telle seulement, elle est condition sine qua non.
Faire de la foi une sorte d'œuvre, dont la qualité supérieure compenserait pour une conduite mauvaise, serait donc prendre un aiguillage funeste. Jean 6,29 indique que la foi est ce que Dieu requiert, en guise d'œuvre, et elle est œuvre de Dieu en l'homme (cf. Jn 6,44-45.65). La foi est le seul acte qui procède de l'œuvre que l'homme ne peut pas faire puisqu'elle consiste à renoncer aux propres œuvres. Que la foi soit comptée comme justice (Rm 4,3) ne vient que de son objet , et non de sa qualité d'obéissance ou de sa fonction de fontaine d'œuvres bonnes futures : Dieu justifie à cause du Christ sur lequel le croyant s'appuie, non pas à cause des bonnes dispositions que l'acte de foi manifeste, ni à cause de la conduite que Dieu peut prévoir.
Pourquoi la justification exige-t-elle la foi comme son instrument ? Rm 4,16 (cf. 11,6) livre la réponse : la grâce exige que la justification soit par la foi, parce que le propre de la foi est de s'en remettre totalement à l'autre. D'autre part, c'est la foi qui unit au Christ, le Chef.
La foi qui justifie est foi au Christ. Le Nouveau Testament (Rm 3,21-26 ; Ga 3,8-14 ; 2 Co 5,18-21) expose en effet avec clarté que la mort de Jésus, substitution pénale du Chef aux siens, fonde la justification : les croyants sont agréés en vertu des œuvres d'un autre, qui s'est substitué à eux jusque sous la sanction et a acquis leur justification..
La justice de ceux qui ont la foi n'est pas seulement un statut accordé à cause du Christ ; elle réside en l'Éternel lui-même uni à l'humanité, qui couvre les siens et les revêt. Le prophète avait d'ailleurs prédit que le Messie mériterait ce nom : « l'Éternel notre justice » (Jr 23,6). Il a été fait justice pour nous (1 Co 1,30) : ce qu'il est devient nôtre. Le statut obtenu pour le Chef lui-même est communiqué au croyant, si bien que juridiquement le croyant n'est plus rien sous son propre nom, mais tout sous le nom de son Représentant, le Christ (Ga 2,20).
La justification coïncide avec la venue à la foi pour les membres du Christ. C'est un événement ponctuel qui concerne l'ensemble de la vie. Le croyant est d'ores et déjà déclaré juste (Rm 5,9), même s'il faut conserver à la justification son caractère d'anticipation du jugement dernier (Ga 5,5) : le croyant a déjà reçu le verdict d'acquittement, et dans ce sens n'entendra rien de nouveau au jugement, son sort ne s'y jouera pas (Jn 5,24) ; mais l'anticipation n'annule pas la solennelle manifestation future (Ap 20,11-15 ; Mt 25,46).
Ainsi, comme événement « dernier », la justification couvre la vie du croyant dans son ensemble. Elle enlève toute condamnation pénale pour les péchés passés, présents et futurs. Néanmoins les péchés que commettent encore les croyants les font tomber sous le déplaisir de leur Père : ils ont ainsi besoin de pardon journalier (cf. Mt 6,12 ; 1 Jn 1,9). Mais Dieu ne réclame plus et ne réclamera jamais sa dette pénale à celui qui s'est mis à couvert sous le nom de Jésus-Christ.
L'Homme et son salut
Sylvain Aharonian ,
d'après La Doctrine du péché et de la rédemption
de Henri Blocher.
Henri B locher, La Doctrine du péché et de la rédemption , Vaux-sur-Seine, Édifac, 1997 rev , p. 296-297.