La portée de l'affirmation de 1 Jean 4,8b
En affirmant que « Dieu est amour », l'apôtre semble vouloir énoncer la vérité la plus profonde concernant l'être divin et qui ne saurait jamais être formulée à propos d'aucun homme. Non seulement Dieu a de l'amour, mais il est amour. Cela n'est pas dit des autres attributs de Dieu, et il est clair que les formules « Dieu est lumière » (1 Jn 1,5) ou encore « Dieu est un feu dévorant » (Dt 4,24 et Hé 12,29) ne sont que des métaphores. Aussi peut-on considérer l'amour comme l'attribut divin central (cf. 1 Co 13,13 et Col 3,14).
L'amour, comme tous les attributs de Dieu, décrit l'être même de Dieu et ne constitue pas seulement un élément séparable de son être : par exemple, Dieu sans l'amour ne saurait plus être Dieu ; c'est pourquoi saint Augustin disait que Dieu est ce qu'il a. En revanche l'affirmation « Dieu est amour », contrairement à « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), n'a pas pour objectif de déterminer à quelle catégorie d'êtres Dieu appartient.
D'autre part, « Dieu est amour » ne veut pas dire que l'amour est Dieu : il ne faut surtout pas faire de notre idée de l'amour une idole prenant la place du Dieu personnel ; il ne faut surtout pas exalter la puissance spirituelle de l'amour tel que nous le concevons et l'éprouvons. En revanche, savoir que « Dieu est amour » nous aide à mieux interpréter toute chose, en attendant de mieux comprendre.
L'affirmation de Jean établit aussi une distinction radicale entre les hommes, car du fait que « Dieu est amour », « celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu » (1 Jn 4,8a), il n'appartient pas à la communauté de ceux qui sont nés de Dieu (cf. 1 Jn 4,7). Selon qu'un homme aime ou non d'un amour authentique, il connaît Dieu ou ne le connaît pas.
Dieu, qui est Trinité, est parfait à lui seul ; il n'a pas besoin d'un être extérieur à lui-même pour manifester son amour. Le Fils « aime le Père » (Jn 14,31), au point de vouloir s'offrir en sacrifice ; « le Père aime le Fils » (Jn 5,20), si bien qu'il accepta l'œuvre du Fils ; le Saint-Esprit aime le Père et le Fils, ce qui le pousse à appliquer aux croyants le salut accompli par le Fils. L'amour que se portent mutuellement les personnes de la Trinité est ainsi le fondement de l'amour de Dieu pour les hommes et de l'amour que les hommes sont appelés à manifester.
Par conséquent, l'amour ( agapè ) de Dieu découle de lui-même et non de l'amabilité de la personne aimée. C'est ainsi que l'amour du Seigneur pour son peuple est comparé à celui d'un mari trompé pour son épouse infidèle (cf. Os 3,1)… Dieu aime précisément parce qu'il est amour en lui-même.
L'amour de Dieu est ce principe qui le pousse à désirer un autre être et à trouver sa joie en lui. De fait, Dieu a délibérément lié sa joie au bonheur des hommes qu'il a aimés (cf. Lc 15,10).
Ceci dit, pour ne pas se faire une fausse idée de l'amour de Dieu, il convient de l'éclairer par tous les autres attributs divins. Dieu étant absolument « un » (Dt 6,4), les attributs qui le décrivent ne sont pas séparables, mais chacun de ces attributs est commenté par tous les autres. En particulier, l'amour de Dieu est l'amour de sa sainteté, sinon ce n'est plus l'amour de Dieu ; réciproquement, la sainteté de Dieu est la sainteté de son amour. Il faut donc laisser notre idée de l'amour de Dieu être corrigée par l'ensemble de la révélation biblique ; autrement dit, nous n'avons pas le droit, au nom de l'idée que nous nous faisons de l'amour de Dieu, de rejeter ce que Dieu nous révèle dans l'Écriture à propos de l'exercice de ses attributs. Ainsi, c'est se méprendre que de penser, par exemple, que l'amour de Dieu lui interdit de condamner le coupable.
S'il est vrai que l'amour de Dieu s'exprime dans tout ce qu'il dit et fait, la croix du Christ en est la preuve suprême : Dieu est venu lui-même chercher ses brebis perdues et rebelles, en se donnant lui-même pour elles (cf. 1 Jn 4,9-10 ; Jn 3,16 ; 15,13-14 ; Rm 5,8 ; Ga 2,20). Un tel Dieu mérite notre confiance et notre dévouement.
En 1 Jean 4, l'apôtre appuie la pratique de l'amour fraternel sur une vérité théologique fondamentale : c'est parce que Dieu est amour en lui-même (4,8 et 16), comme le montrent l'œuvre du Christ (4,10-11) et la présence de Dieu en nous qui croyons (4,12), que nous devons nous aimer les uns les autres. Alors, en agissant ainsi, nous reflèterons la nature de celui que nous déclarons être notre Père et notre ami.
L'amour chrétien prend donc pour modèle l'amour de Jésus-Christ et du Père : « comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres », dit Jésus en Jean 13,34. C'est être imitateur de Dieu, précise aussi Paul en Éphésiens 5,1-2, que marcher à l'image du Christ dans l'amour qui se sacrifie.
Dieu et la Révélation
Sylvain Aharonian ,
d'après des écrits de H. Blocher, G. Bray, et J. I. Packer.